jeudi 30 décembre 2010

mercredi 29 décembre 2010

The unshaken genius of Mauro Pawlowski

Une des raisons pour lesquelles je déteste faire des listes de fin d'année, c'est que je découvre systématiquement certains de mes disques favoris de l'année avec 6 mois de retard. Ça avait par exemple été le cas en 2009 avec l'album d'Emptyset (qui m'avait été ardemment recommandé par mes ex-comparses de Get The Curse) et celui de Timber Timbre (découvert dans un des premiers épisodes de la saison 3 de Breaking Bad et dont j'avais d'ailleurs parlé précisément à ce moment là). Cette année, le retour de bâton aura été bien plus rapide, puisque c'est quelques jours à peine après avoir posté mon top 2010 que je suis tombé sur Damascus, le premier album de Radical Slave, énième projet du fantasque Mauro Pawlowski.

Songwriter de génie, obsédé sexuel notoire, showman d'exception et authentique psychopathe, Mauro Antonio Pawlowski, flamand d'origine italo-polonaise, s'est fait connaître au milieu des années 90 avec son groupe Evil Superstars, fer de lance de la scène indé belge de l'époque, aux côtés de dEUS (dont il deviendra le guitariste une douzaine d'années plus tard). Croisement hors-limites entre Girls Against Boys et Queen (ce qui signifie, en gros, que ça ressemblait assez clairement à Brainiac), Evil Superstars sortira son premier album (Love Is Okay) en 1996, date à laquelle j'aurai la chance de découvrir le groupe sur scène, à l'occasion d'un fulgurant concert à domicile, au festival Pukkelpop. Une prestation dont quelques images figurent justement dans la vidéo promo ci-dessous, aux côtés de nombreux extraits de l'album.



Lyrics absurdes, télescopages hystériques et embardées épileptiques, Love Is Okay, au moins aussi épuisant, sinon plus, que les concerts du groupe, sera snobé à peu près partout, si ce n'est en Angleterre et évidemment en Belgique, où le groupe jouit très vite d'une certaine popularité. Pawlowski rejoindra la même année Kiss My Jazz, collectif expérimental anversois dans lequel on retrouvera également Rudy Trouvé, Stef Kamil Carlens et Craig Ward de dEUS, avec qui il enregistrera deux albums (In Doc's Place Friday Evening et In The Lost Souls Convention), avant de se lancer dans la réalisation du second et dernier album d'Evil Superstars, Boogie Children-R-Us. Un disque nettement plus singulier et ambitieux que Love Is Okay, mais également plus accessible (l'album contient les deux titres les plus connus du groupe : "It's A Sad Sad Planet" et "Oh Girl"), et qui vaudra à Evil Superstars un retour triomphal au Pukkelpop en 98, pour ce qui sera leur tout dernier concert, Pawlowski ayant annoncé leur split quelques semaines auparavant. Par chance, j'étais aussi à ce fameux concert, où, pour l'anecdote, on pouvait, en jonglant entre les deux scènes principales, s'enfiler d'une seule traite rien de moins que Spiritualized, Girls Against Boys, The Afghan Whigs, Evil Superstars, PJ Harvey, Soul Coughing et Portishead. Aucun de ces groupes ne réussira pourtant ce soir-là à éclipser la prestation des belges, en sur-régime devant un public littéralement déchaîné, qui les retiendra sur scène bien au-delà du temps imparti, les obligeant à jouer l'intégralité de Boogie Children-R-Us, à commencer par l'imparable "B.A.B.Y."



Après la séparation d'Evil Superstars, Mauro Pawlowski enregistrera un dernier album avec Kiss My Jazz (In A Service Station, en 1999) et rejoindra Mitsoobishy Jacson, un autre collectif belge formé par des membres de Nemo et Dead Man Ray, avec qui il sortira un LP la même année (Boys Together Outrageously). En 2001, il devient guitariste de Monguito (groupe free-jazz d'Anvers dont la discographie se résume à deux EPs auto-produits disponibles uniquement sur cassette audio) et sort son premier album solo, Songs From A Bad Hat, sous le simple nom de Mauro. Un disque très pop et immédiat, aux antipodes de ses précédents projets, et qui passera totalement inaperçu malgré des morceaux gigantesques, comme l'imparable "Everybody's Friend", interprété ici en mode total Eurovision à la télévision flamande.



Durant les années qui suivront, Mauro Pawlowski multipliera les projets expérimentaux (en solo ou avec des groupes et collectifs plus ou moins éphémères comme The Parallels, Othin Spake, The Love Substitutes, iH8-Camera, Possessed Factory ou Somnabula), revenant brièvement au son des premiers Evil Superstars en 2004, le temps de l'excellent Black Europa, premier et unique album de Mauro Pawlowski And The Grooms, dont est extrait "What It Takes", joué ici en live à Gent en juin dernier.



Peu après la sortie de Black Europa, Mauro Pawlowski deviendra le guitariste de dEUS (avec qui il enregistrera l'excellent Vantage Point, sur lequel il signe plusieurs morceaux), ce qui ne l'empêchera pas de continuer à multiplier les collaborations extérieures (avec l'écrivain néérlandais Ramsay Nasr en 2008 ou la compagnie de danse contemporaine Ultima Vez en 2009), ni de former un nouveau groupe, Radical Slave, qui a sorti cette année l'incroyable Damascus, album enregistré live d'une seule traite et secret le mieux gardé de 2010, qui annule sans le moindre effort les derniers Grinderman et The Fall. Preuve sur pièces avec le toxique "Before We Got Rich", paradoxalement un des morceaux les plus faibles du disque.

lundi 27 décembre 2010

Je n'irai pas verser 2010 sur tes tripes


Si j'ai échoué dans mon projet de ne pas faire de top de fin d'année, il m'a semblé en revanche parfaitement nécessaire de réussir dans mon projet de faire un top de l'absolument pire de 2010.

Bien évidemment, j'ai tenu ma promesse.


The Walking Dead
La BD était laide, pleine de personnages atrocement crispants et manquait clairement de rythme, mais elle avait au moins le mérite de reposer sur un scénario aussi solide qu'imprévisible, qui fait qu'après 13 tomes souvent inégaux mais toujours excitants, on continue à la suivre, ne serait-ce que d'un oeil. La série, elle, n'aura guère fait illusion que le temps d'un pilote terriblement prometteur, avant de se vautrer dans une spectaculaire médiocrité, qui culminera dans un atterrant épisode final élevant de nouveaux standards en matière de foutage de gueule. L'ensemble des scénaristes a, semble-t-il, quitté le navire à la fin de cette première saison. Bonne ou mauvaise nouvelle ? J'avoue qu'à ce stade du championnat, je m'en bats les couilles avec une vigueur de métayer aveyronnais.


Vampire Weekend
Pile au moment où on se demandait ce qui pourrait bien rendre ce groupe de fils de pharmaciens encore plus terne qu'il ne l'est déjà, Vampire Weekend ont annoncé qu'ils étaient montés en SARL. A ce stade, à part composer un double album à la gloire de Xavier Bertrand, je ne vois pas ce qu'ils peuvent faire de pire.


Rubber
Soyons sérieux deux secondes : à part les Ma-bite-à-un-goût, les Paco Rabanne de la pop culture et les fans de Daft Punk de moins de 25 ans, qui a aimé cette merde ? Personne, on est d'accord.



Two Door Cinema Club
Dans les années 80, quand un groupe avait un nom super pourri et un chanteur roux, on appelait ça Simply Red. Tu saisis le malaise ?



Machete
Quand je mange une pomme, j'ai envie de manger une pomme. Juste une pomme. Pas une pomme avec un connard attaché au bout qui me tapote sur l'épaule toutes les 15 secondes pour me dire : "WTF ? Une pomme, LOL !".


Zola Jesus
Que dire de plus que ce que je n'ait déjà dit ici ?




Gil Scott-Heron
Ce n'est pas parce qu'un type est une légende vivante qu'il n'a pas le droit de se vautrer comme le premier connard venu en ressortant un album après 15 ans de silence. Le seul truc potable sur ce disque est un spoken word de moins de 3 minutes et, très franchement, la première fois où j'ai entendu le single sur France Inter, j'ai été parcouru d'un frisson d'angoisse, croyant que Kat Onoma s'étaient reformés.


Ariel Pink's Haunted Graffiti
Un jour, j'aimerais qu'on m'explique. Mais vraiment.




Off!
Deux légendes des 80's (Keith Morriss de Circle Jerks et Black Flag, et Steve McDonald de Redd Kross) + une légende des 90's (Mario Rubalcaba de Black Heart Procession, Rocket From The Crypt et Hot Snakes) + une légende des 00's (Dimitri Coats de Burning Bridges) = l'équivalent 2010 de Supertramp. Aussi navrant que Gérard Holtz, aussi punk que Sophie Davant.


These New Puritans
Sur scène, on dirait un spectacle de maternelle dont le concept serait de faire jouer des reprises de Faith And The Muse par des enfants maltraités pendant qu'un gamin, que l'on qualifiera pudiquement de différent, imite Ian Brown, Bez et le danseur-fleur de Flowered Up sur le devant de la scène. Sur disque, on dirait juste Faith And The Muse.

jeudi 23 décembre 2010

J'irai verser 2010 sur tes tripes

L'an dernier à la même date, comme à peu près tous les ans à la même date depuis que j'écris dans la presse, je m'étais juré de ne plus jamais faire de top de fin d'année. Je pensais demander à ce qu'on mette juste mon nom dans les colonnes de bilan, avec un petit mot laconique, genre "Redemandez-moi dans un an" ou "Dites que je suis absent", un truc qui ferait riche et élégant.

Bien sûr, j'ai échoué.


Black Bug Black Bug (FDH)
Le disque punk qu'on n'osait plus espérer : sale, haineux, sec, aveuglant. Quelque part entre une version moderne, mixte et décomplexée des Screamers, un Blank Dogs qui aurait mis de coté neurasthénie et paranoïa pour se lancer dans un raid meurtrier au cran d'arrêt le long des caniveaux lardés de néon d'une mégalopole rongée par le vice et la névrose et un Trans Am trisomique qui aurait composé la B.O. d'un improbable mash-up entre Blade Runner et Rue Barbare. Accessoirement, le seul disque de 2010 dont j'ai écouté trois fois la face A avant de pouvoir me résoudre à passer à la face B. Ultime.


La Chatte Bastet (Tsunami Addiction)
Parce que putain de tout ça. Parce que c'est le seul disque de 2010 que j'écoute systématiquement et exclusivement en entier tellement tout y est parfait de la première à la dernière seconde. Parce que ça sonne comme les Butthole Surfers qui feraient des reprises d'Anne Clark circa 1983 ("la meilleure période, juste avant la ménopause" comme dirait Stephy) pour une version post-nuke des Valseuses. Parce que je pense très sincèrement que c'est -avec Cheveu- ce que la France a produit de mieux depuis le Metal Urbain de 77-78.


Warpaint The Fool (Rough Trade)
C'est horrible mais je n'ai strictement rien à dire sur ce disque, si ce n'est qu'il sonne comme une version féminine et low-key du Nothing's Shocking de Jane's Addiction, et que je ne vois pas bien ce que je pourrais ajouter après ça qui ne soit complètement superflu. Ah si : n'écoutez pas les raseurs, The Fool est bien meilleur que le EP sort l'an dernier.


Salem King Night (Iamsound)
La musique d'une génération qui ne ressent plus rien et tente de tout faire pour l'oublier, un disque à écouter en fumant du crack avec une prostituée mineure, aux dernières heures de la nuit sur un parking abandonné, un pas vers la béatitude et l'absolu ou les derniers mètres qui vous séparent du néant et de la consternation suprême, l'album d'un groupe dont on se fout totalement de savoir s’il a un avenir ou si on l'écoutera encore dans six mois, le plus efficace détecteur à vieux cons qui ait jamais existé, un bloc de matière brute qui ne demande qu'à rentrer en contact avec votre jolie petite gueule et la carboniser au énième degré. C'est tout de suite, ici et maintenant et ça ne peut pas vraiment s'expliquer. 


Terror Danjah/DOK Bruzin VIP/Hysteria (Hyperdub)
J'aurais pu citer le Fall Short/Work Them de Ramadanman ou le Bellion de Ill Blu, mais cette année, c'est clairement ce split entre Terror Danjah et DOK qui a élevé le standard rayon 12" avec cette fulgurante feinte de mort enchaînant un des meilleurs morceaux de bass music de ces dernières années ("Bruzin VIP", qui impose définitivement la supériorité du vétéran grime) au titre le plus jouissivement brainless de 2010 (le bien nommé "Hysteria" de DOK, prototype de hooligan house à la sauce South London).


L.B. Dub Corp Take It Down (In Dub) (Ostgut Ton)
Une sévère dose d'oppression, un doigt de malsain et pas même un putain de break pour reprendre sa respiration : après avoir réactivé Planetary Assault Systems, Luke Slater creuse un peu plus loin encore dans la terror-techno, avec ce pandémoniaque single de L.B. Dub Corp, qui s'est tout naturellement imposé comme le tube incontesté de l'été 2010.


Trans Am Thing (Thrill Jockey)
Noir, massif, impérial, Thing, au-delà du simple exercice de style (le disque était à l'origine prévu pour être la  B.O. d'un film option terreur transalpine et raids assassins dans l'hyper-espace), s'impose comme un des meilleurs - sinon LE meilleur - Trans Am à ce jour, pile entre la paranoïa rageuse de Liberation et les conjurations profanes de Surrender To The Night. Colossale partition pour mission suicide lancée sur la forteresse volante de sanguinaires empereurs galactiques, Thing triomphe, là où Zombi et The Emperor Machine vont péniblement chercher d'humbles victoires. Abandonnez dès à présent toute forme de résistance et prosternez-vous, insectes, car le jour où le soulèvement des machines anéantira toute forme connue de civilisation, c'est cette merde que la plus grosse sono de l'Univers diffusera en continu pour des Siècles et des Siècles.


Doctor Scientist Prehistoric Times (FDH)
Collection de rip-offs éhontés des premiers singles de Babyland, pochette absolument impardonnable, nom pourri, titre idiot, durée totale de moins de 20 minutes : Prehistoric Monsters de Doctor Scientist souscrivait à absolument tous les critères requis pour figurer dans ce classement. Il hérite donc tout naturellement d'une place de choix.


Cola Freaks Cola Freaks (Hjernespind)
On avait laissé les danois de Cola Freaks au tapis après un split avec Autistic Youth dont ils étaient sortis sévèrement sonnés et une tournée désastreuse en backing band de fortune pour le regretté Jay Reatard qui avait fini de les achever. Retour royal cette année avec un premier album altier, noir et hargneux, qui a éjecté le pourtant inespéré Your Future Our Clutter de The Fall de ce classement, et ce dès la première écoute.


Fukpig Belief Is The Death Of Intellignce (Feto)
Apache interlope traqué au pied de tours cyclopéennes, tu fonces dans la nuit, mitaines serrées, cheveux fournis, lorsqu'un douloureux crépitement déchire la nuit et fait éclater ton crâne en une anarchique pulpe de sang, envoyant ton corps s'écraser sur une rampe d'accès d'autoroute avant d'être accroché par un camping-car en flammes lancé à vitesse maximale contre une funèbre procession convoyant tous phares éteints 38 tonnes de terreur noire vers un horizon incertain. Pas d'erreur, c'est l'horreur, et on n'en attendait pas moins du deuxième album de Fukpig. Que ceux qui auraient raté le début de la raclée se rassurent : Belief Is The End Of Intelligence reprend les choses exactement là où Spewings Of A Selfish Nation les avait laissées : même son inhumain, mêmes tag-lines outrées, mêmes influences ouvertement affichées (Extreme Noise Terror, Disgust, Napalm Death) et même impression de revivre à chaque titre l'expérience de l'infortuné Michael Spinks, littéralement désintégré par Mike Tyson après seulement 90 secondes de combat le 27 juin 1988.

mercredi 22 décembre 2010

La mort a pondu un oeuf


Si j'avais un label, ce pull serait ma première référence.
Si j'étais un mouton, je donnerais la laine de mes enfants pour lui.
Si je devais exécuter Gérad Holtz, j'irais vêtu ainsi.
Ce n'est pas juste du textile, c'est le putain de cadeau de la vie.

lundi 20 décembre 2010

jeudi 9 décembre 2010

Another Day, Another Riot


Jeudi 18 novembre 2010
  • 19h41 Je rejoins Cléo à Pigalle. Après avoir tergiversé pendant près d'une minute, on décide d'aller manger à Da Carmine. Déjà parce qu'ils font les meilleures pizzas de l'Univers connu (juste derrière celles de la Gaststätte Trattoria Libau à Friedrichshain, mais là, c'est hors-concours, on touche au mystique). Ensuite parce que, comme ils font les meilleures pizzas de l'Univers connu, ça te permet de rentrer chez toi en te disant que tu as passé une pure soirée, même quand tu t'es enquillé un concert pourri juste après. Et le fait est que ce soir on va à La Machine Du Moulin Rouge pour la soirée Tsunami Addiction où jouent Rikslyd, Haussman et La Chatte.
  • 20h07 Chez Da Carmine, on mange les meilleures pizzas de l'Univers connu, certes. Mais on y est également servi par des types qui ne parlent pas un mot de Français, regardent des matches de foot sans le son et écoutent Jean-Jacques Goldman à plein volume, ce qui, il faut bien le reconnaître, représente une plus-value non négligeable
  • 20h29 On règle l'addition. Il se met à pleuvoir.
  • 20h34 Je pars retirer de l'argent un peu plus haut dans la rue. Le temps d'arriver au distributeur, la pluie s'est transformée en averse. Cléo s'abrite dans une cabine téléphonique.
  • 20h41 On arrive devant La Machine. Je réalise que la dernière fois que j'ai mis les pieds dans cette turne, elle s'appelait encore La Loco et que c'était il y a déjà trois ans, pour la soirée de lancement de Tsugi. Il y a des salles, comme ça, auxquelles on ne réussit jamais à s'attacher.
  • 20h44 Le hall de La Machine est désert. Visiblement, le public d'Adam Kesher et Chromeo (qui jouent à guichets fermés dans la grande salle) est aussi ponctuel que discipliné.
  • 20h47 Celui de Tsunami Addiction est de toute évidence nettement plus erratique. Bien que la soirée ait techniquement commencé depuis 17 minutes, il y a, à première vue, un peu moins de 10 personnes dans le sous-sol de La Machine (organisateurs, DJs et barmen compris).
  • 20h49 Parmi cette modeste assemblée, on remarque très vite Valérie. Il faut dire que c'est la seule qui n'est ni au bar, ni derrière les stands ou les platines. C'est aussi la seule qui danse. Qui plus est, c'est aussi la seule qui danse comme ça.
  • 20h52 Valérie nous explique en hurlant que la soirée a pris un peu de retard et qu'il serait donc judicieux de commencer à boire immédiatement.
  • 20h54 Bien qu'il fasse relativement sombre près du bar, j'aperçois un type dans un coin looké Pirate Des Caraïbes revisité Yves Saint-Laurent 1974, le tout dans des teintes ocre/fauve, raccord jusqu'à la barbe et aux cheveux qu'ils porte longs, roux et frisés, façon Raspoutine irlandais du Studio 54.
  • 20h55 Le type en question est en pleine discussion avec un genre de Siouxsie des Balkans qui porte une étincelante veste de type Indonésien sur laquelle elle secoue à intervalles réguliers une amphigourique crinière bleu néon qui luit dans l'obscurité.
  • 20h57 On s'installe a une des tables attenantes au bar, à côté d'un asiatique en costume aux cheveux gominés qui photographie un extincteur avec son iPhone.
  • 21h01 Je réalise dans une secrète épouvante que l'asiatique aux cheveux gominé en est à présent à sa neuvième photo d'extincteur.
  • 21h11 Tentant d'oublier l'asiatique aux cheveux gominés, je me concentre sur le DJ, une Bieberette (nf, jeune lesbienne qui ressemble à Justin Bieber) pleine d'allant, un peu juste dans les finitions (ça enchaîne au jugé), mais plutôt honnête dans sa sélection.
  • 21h19 La Bieberette cale un morceau vaguement disco. Le Raspoutine roux et la Siouxsie des Balkans se dirigent vers la piste.
  • 21h21 Le Raspoutine roux et la Siouxsie des Balkans se mettent à faire du vogueing. Froidement, précisément, total premier degré.
  • 21h22 Le Raspoutine roux et la Siouxsie des Balkans ont capté l'attention de toute l'assemblée, qui s'élève désormais à une cinquantaine de personnes, et qui est de toute évidence ébahie par le spectacle auquel elle assiste.
  • 21h25 La Bieberette joue un truc post-punk. Le Raspoutine roux et la Siouxsie des Balkans retournent près du bar, l'air à la fois apaisé et préoccupé, comme deux patineurs qui regagnent leur booth dans l'attente des notes du jury.
  • 21h32 Deux filles s'affairent sur scène à côté de la Bieberette. La première a un t-shirt trop grand et semble sortir d'une sieste de 4 heures ou d'un atelier de sérigraphie. La seconde a un mono-sourcil, une frange vert émeraude et porte diverses pièces de tissu scintillant en mode aléatoire. Je fais remarquer à Cléo qu'on dirait des Coco Rosie de Levallois.
  • 21h33 Le Raspoutine roux et la Siouxsie des Balkans lancent depuis le bar un baiser aux Coco Rosie de Levallois. Elles répondent par un gloussement et des poses géométriques.
  • 21h49 Je jette un coup d'oeil à l'asiatique aux cheveux gominés. Il est toujours en train de prendre les extincteurs en photo. Je réprime un hurlement.
  • 21h50 Je reporte mon attention sur un type habillé en randonneur, stationné aux abords de la console son, bras croisés et jambes fermement amarrées au sol, fixant la scène avec un air de défiance, comme si il s'apprêtait à la prendre d'assaut.
  • 21h54 Les Coco Rosie de Levallois quittent la scène. Elles ont visiblement terminé d'installer leur matériel.
  • 22h01 La salle commence à se remplir. L'asiatique aux cheveux gominés est rejoint par une fille en veston bleu nuit. Il range son iPhone à la hâte.
  • 22h04 Juste à côté de nous, un sosie de Jean Schulteiss circa 1984 et une blonde en collant académique de soie noire font leur apparition. Je note également la présence d'un homme mystérieux en gabardine et chapeau de cuir noir qui parcourt la salle entière à pas feutrés, un lourd sac de plastique sur le dos.
  • 22h09 La salle est désormais chichement remplie et les Coco Rosie de Levallois remontent sur scène. Le Raspoutine roux et la Siouxsie des Balkans, installés au premier rang, saluent avec ardeur un type en sweatshirt orange fluo et noeud papillon qui ressemble à un croisement entre Phil Collins et Géo Trouvetou.
  • 22h11 Les Coco Rosie de Levallois commencent à jouer. En fait elles ne sont pas de Levallois mais de l'ouest de la Norvège et s'appellent en réalité Rikslyd.
  • 22h13 Leur musique est ultra-datée et totalement pénible. Ça sonne en gros comme des faces B de Peaches circa 2003, avec des paroles chiantes et des gimmicks mélodiques insupportables.
  • 22h14 Evidemment, leur attitude scénique est au diapason : elles montrent leur cul, prennent des postures badass et se sentent obligées de préciser avant chaque morceau qu'elles parlent de sexe. Visiblement, personne ne leur a dit qu'on n'était plus en 1950.
  • 22h21 Normalement, là elles devraient arrêter. Mais en fait non, elles continuent. En plus le public a l'air carrément enthousiaste. 
  • 22h45 Elles jouent toujours. Je repense à la pizza.
  • 22h49 Le concert des Coco Rosie de Levallois se termine enfin.
  • 22h50 Alors qu'on se dirige vers le bar afin de célébrer le fait qu'on ne reverra plus jamais ce groupe de tout le reste de notre existence, Valérie nous tombe dessus en hurlant "putain mais c'était géééééé-nial", bousculant au passage un sosie de Françoise Sagan et une fille en combinaison rouge cintrée aux épaulettes démesurée qui lui donne l'air d'une part de tarte aux cerises.
  • 22h51 Souhaitant rester pudiques et courtois, on répond à Valérie qu'on a trouvé que c'était très objectivement la plus fantastique bouse qu'il nous ait été donné de voir depuis une bonne douzaine d'années. 
  • 22h52 Valérie éclate de rire la tête en arrière, comme un alchimiste dérangé, puis se remet à danser comme ça.
  • 22h54 Haussmann ont désormais remplacé la Bieberette aux platines. On se place en hauteur, pile devant la scène, ce qui nous donne une parfaite vue d'ensemble du dancefloor, qui est désormais découpé en deux parties : une ligne de front ultra-high-energy, où l'on distingue tout naturellement Valérie, le Raspoutine roux, la Siouxsie des Balkans et Phil Collins-Géo Trouvetou, mais aussi le sosie de Jean Schulteiss qui est carrément en train de smurfer (mais littéralement, quoi) ainsi que Milkymee et Zoé de Konki Duet, qui ne tardent pas à nous faire des signes façons cheerleaders en surchauffe; et, plus en retrait, un secteur beaucoup plus chillax, façon room low-groove aux frontières du malsain, où dansent au ralenti un type un peu sale qui a un swag digne de celui de Michael Cera dans Superbad, un quidam en total look François Mitterrand (manteau, chapeau de feutre, écharpe rouge) et l'homme mystérieux au chapeau de cuir, qui s'est délesté de son sac et de sa gabardine et arbore désormais une aveuglante chemise blanche.
  • 22h57 Un peu plus haut, vers l'entrée, je vois la blonde en collant académique qui danse seule contre un mur, prenant des poses excessives et fouettant les tentures de sa longue crinière.
  • 22h59 En fait, la blonde en collant académique n'est pas seule : il y a un individu en face d'elle qui la prend en photo (non, ce n'est pas l'asiatique aux cheveux gominés).
  • 23h09 La fille en combinaison rouge, accompagnée d'une gigantesque brune en tenue de jockey qui ressemble furieusement à Anthony Kiedis des Red Hot Chili Peppers, débarque à son tour au milieu de la joyeuse assemblée du dancefloor qui est désormais au taquet.
  • 23h10 C'est le moment que choisissent les définitivement très recommandables Haussmann pour caler "Theme From S-Express". Tout le monde part en brioche, c'est l'hystérie. Le sosie de Jean Schulteiss marche sur les mains, François Mitterrand donne des coups de poings dans le vide et la fille en combinaison rouge et sa copine Jockey-Anthony Kiedis se jettent contre les murs en hurlant.
  • 23h11 Je réalise que le public qui est présent ce soir est tout simplement le public que j'ai rêvé de voir à une soirée toute ma vie durant. Cet instant est juste putain d'incroyable.
  • 23h17 Le set d'Haussmann touche à sa fin, Nikolu et Stereovoid sont déjà sur scène.
  • 23h19 Ils sont rejoints par Vava Dudu, qui porte évidemment une de ses fameuses tuniques taillées dans des drapeaux de fans. Celle de ce soir a été réalisée avec un drapeau Madonna période Blonde Ambition Tour et un Bon Jovi que je daterais à vue d'oeil de l'époque Slippery When Wet, éventuellement New Jersey.
  • 23h20 Le concert démarre sur "Apache". Les gens deviennent fous. Mais vraiment. On les sent juste tous prêts à mourir ce soir. 
  • 23h23 En même temps, on se sent très vite prêt à crever sur place devant un concert de La Chatte. Ce groupe n'a pas juste des morceaux géniaux et une suprême attitude : ils te donnent carrément l'impression d'assister à un truc surpuissant, unique, hors du commun. Pour tout dire, hormis Black Bug et Cheveu les bons soirs, je ne vois pas UN groupe capable de leur arriver à la cheville sur scène à l'heure actuelle.
  • 23h25 Les morceaux se télescopent sans réel temps mort, dans une sorte de montée aussi nauséeuse qu'euphorique. Aux premiers rangs, c'est le chaos, les gens se mélangent, fusionnent, on ne reconnaît plus personne. Jean Schulteiss porte une combinaison rouge, Raspoutine a enfilé un pantalon de jockey et Siouxsie est devenue rousse. La blonde en collant académique, elle, continue sa session photo, à l'écart, comme si de rien n'était.
  • 23h57 Les derniers paliers de l'apocalypse sont franchis. La fille en combinaison rouge et sa copine Jockey-Anthony Kiedis tournent sur elles-mêmes à toute vitesse, en se tenant par les avant-bras. Le Raspoutine roux, la Siouxsie des Balkans et Phil Collins-Géo Trouvetou ne font plus qu'un, excentrique boule de chair à six bras roulant sur conciliabule de freaks où tout n'est plus que cris d'animaux, mâchoires crispées et collants filés. Un type complètement possédé enlève son pull et se met à fouetter les gens autour de lui, s'acharnant particulièrement sur François Mitterrand (qui, à en juger par sa réaction, semble ne pas apprécier). Le groupe joue ses deux derniers morceaux.
  • 00h11 Le concert est terminé. La fosse du sous-sol de la Machine est retournée, dévastée. Les gens errent, hagards, les bras levés vers le ciel. Kim Ann Foxman de Hercules And Love Affair prend les platines. Tout le monde se remet à danser. On se maudit de ne pouvoir rester plus longtemps. Peu importe, on vient d'assister au plus incroyable concert qu'il nous ait été donné de voir au cours de ces cinq dernières années, devant le meilleur public jamais réuni dans tout le Système Solaire. On vient de gagner un million de points-vie supplémentaires. On a oublié la pizza. Rien d'autre n'a d'importance.

        vendredi 3 décembre 2010