mercredi 29 mai 2013

Thieves in the temple


Planche extrait de Snark de Jochen Gerner, recueil de strips publiés dans Les Inrockuptibles en 1995 et 1996.

Quand on sait que Jochen Gerner est originaire de Nancy et qu'on y a vécu soi-même pendant 9 ans, impossible de ne pas reconnaître dans ces quatre vignettes la fameuse boutique Wave de la rue des Soeurs Macaron, dirigée par Gérard N'Guyen, le boss du label Les Disques du Soleil et de l'Acier. Une référence en matière de froideur, de dédain et d'hostilité -qui réussira même à s'importer dans la capitale, avec une très sévère annexe rue Keller- et dont les clients se divisaient en 3 catégories bien distinctes : 
  • Les Affranchis  Ceux qui, à force de choix pointus et exigeants, de moues méprisantes et de hochements de tête entendus, avaient réussi, au terme d'un long et douloureux apprentissage à gagner la confiance du tôlier.  
  • Les Trimards  Ceux qui tentaient l'approche au comptoir en demandant à écouter le dernier Einsturzende Neubauten ou Sonic Youth, se heurtant systématiquement aux ricanements méprisants et aux soupirs affectés du vendeur en faction, qui finissait par s'exécuter, balançant le bras de la Thorens du magasin au jugé sur le sillon, avant de l'ôter sans la moindre sommation au bout d'une minute, sifflant entre ses dents serrées un hargneux "voilà, c'est terminé".
  • Les Forçats  Ceux qui n'avaient pas l'ombre d'une chance, bannis à jamais de la Reichskommandatur du bon goût à cause d'un t-shirt Inspiral Carpets ou d'une veste aux couleurs trop vives, foudroyés par de bouillonnants regards de haine dès qu'ils s'approchaient un peu trop près de la porte d'entrée. Comme il n'avait que peu de chance d'accéder à un statut supérieur, le Forçat était régulièrement utilisé par l'Affranchi ou le Trimard lorsque celui-ci souhaitait s'acheter un bootleg de Dinosaur Jr. ou un single des Manic Street Preachers sans risquer d'être rétrogradé pour faute grave.
Étrangement, j'ai eu la chance assez rare de passer directement du statut de Forçat à celui d'Affranchi grâce à un vendeur qui m'avait pris en sympathie pour une raison qui demeure totalement inexpliquée à ce jour, même si je le soupçonne de m'avoir tout simplement confondu avec quelqu'un d'autre, probablement ce Grec dérangé qui lui avait acheté un généreux quintal de vinyle un soir d'octobre avant de disparaître dans la nuit et ne jamais redonner signe de vie.

Anyway, le boutique de Paris a fini par fermer et celle de Nancy est devenue une petite échoppe tranquille où de vieux éducateurs spécialisés -ces barbus en pantalons de velours qui roulent du Drum avec l'air d'attendre une fin d'une phrase qui ne vient jamais- achètent désormais dans l'impunité la plus totale des vinyles d'occasion de Bob Dylan.

Les temps ils-vont-en-changeant, ouais.

4 commentaires:

  1. Hahaha, souvenir, souvenir...

    j'ai aussi eu cette chance de passer d'un statut de Forçat à celui d'Affranchi, ayant fait la grande erreur de demander un disque de Fantomas à mon premier passage et me rattrapant en cherchant des disques d Missing Foundation.

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  2. petit aparté sur l'orthographe du nom "Nguyen". J'ai remarqué qu'en France on l'écrit N'Guyen avec un apostrophe et on le prononce "Haine Gui-hyène", alors qu'ici en Australie ils l'écrivent sans accent et le prononcent qque chose comme "nouène" qui se rapproche bcp plus de la prononciation correcte en viet. (http://inogolo.com/pronunciation/Nguyen)

    Alors, pourquoi ce N apostrophe en français? Attention, ma théorie est raciste: au XXè siècle la France a connu une immigration importante d'Africains et de Vietnamiens. Beaucoup de nom sénégalais par exemple s'écrivent avec un M apostrophe (Claude M'Barali / MC Solaar par exemple). Du coup il y a eu une espece d'amalagame "les immigrés, tu fous un apostrophe". Z'en pensez quoi?

    Voilà je vais lire l'article maintenant.

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  3. Je démens totalement ces propos diffamatoires concernant le Wave parisien, le garçon a toujours été très sympa avec moi, et je n'ai jamais porté de treillis ni de rangers !

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  4. je confirme c'était tour à fait ça ! Dans le genre les gars de Monster Melodies rue des déchargeurs valent aussi le détour, les affranchis avaient même droit à une salle réservée au fond du magasin !

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