jeudi 23 décembre 2010

J'irai verser 2010 sur tes tripes

L'an dernier à la même date, comme à peu près tous les ans à la même date depuis que j'écris dans la presse, je m'étais juré de ne plus jamais faire de top de fin d'année. Je pensais demander à ce qu'on mette juste mon nom dans les colonnes de bilan, avec un petit mot laconique, genre "Redemandez-moi dans un an" ou "Dites que je suis absent", un truc qui ferait riche et élégant.

Bien sûr, j'ai échoué.


Black Bug Black Bug (FDH)
Le disque punk qu'on n'osait plus espérer : sale, haineux, sec, aveuglant. Quelque part entre une version moderne, mixte et décomplexée des Screamers, un Blank Dogs qui aurait mis de coté neurasthénie et paranoïa pour se lancer dans un raid meurtrier au cran d'arrêt le long des caniveaux lardés de néon d'une mégalopole rongée par le vice et la névrose et un Trans Am trisomique qui aurait composé la B.O. d'un improbable mash-up entre Blade Runner et Rue Barbare. Accessoirement, le seul disque de 2010 dont j'ai écouté trois fois la face A avant de pouvoir me résoudre à passer à la face B. Ultime.


La Chatte Bastet (Tsunami Addiction)
Parce que putain de tout ça. Parce que c'est le seul disque de 2010 que j'écoute systématiquement et exclusivement en entier tellement tout y est parfait de la première à la dernière seconde. Parce que ça sonne comme les Butthole Surfers qui feraient des reprises d'Anne Clark circa 1983 ("la meilleure période, juste avant la ménopause" comme dirait Stephy) pour une version post-nuke des Valseuses. Parce que je pense très sincèrement que c'est -avec Cheveu- ce que la France a produit de mieux depuis le Metal Urbain de 77-78.


Warpaint The Fool (Rough Trade)
C'est horrible mais je n'ai strictement rien à dire sur ce disque, si ce n'est qu'il sonne comme une version féminine et low-key du Nothing's Shocking de Jane's Addiction, et que je ne vois pas bien ce que je pourrais ajouter après ça qui ne soit complètement superflu. Ah si : n'écoutez pas les raseurs, The Fool est bien meilleur que le EP sort l'an dernier.


Salem King Night (Iamsound)
La musique d'une génération qui ne ressent plus rien et tente de tout faire pour l'oublier, un disque à écouter en fumant du crack avec une prostituée mineure, aux dernières heures de la nuit sur un parking abandonné, un pas vers la béatitude et l'absolu ou les derniers mètres qui vous séparent du néant et de la consternation suprême, l'album d'un groupe dont on se fout totalement de savoir s’il a un avenir ou si on l'écoutera encore dans six mois, le plus efficace détecteur à vieux cons qui ait jamais existé, un bloc de matière brute qui ne demande qu'à rentrer en contact avec votre jolie petite gueule et la carboniser au énième degré. C'est tout de suite, ici et maintenant et ça ne peut pas vraiment s'expliquer. 


Terror Danjah/DOK Bruzin VIP/Hysteria (Hyperdub)
J'aurais pu citer le Fall Short/Work Them de Ramadanman ou le Bellion de Ill Blu, mais cette année, c'est clairement ce split entre Terror Danjah et DOK qui a élevé le standard rayon 12" avec cette fulgurante feinte de mort enchaînant un des meilleurs morceaux de bass music de ces dernières années ("Bruzin VIP", qui impose définitivement la supériorité du vétéran grime) au titre le plus jouissivement brainless de 2010 (le bien nommé "Hysteria" de DOK, prototype de hooligan house à la sauce South London).


L.B. Dub Corp Take It Down (In Dub) (Ostgut Ton)
Une sévère dose d'oppression, un doigt de malsain et pas même un putain de break pour reprendre sa respiration : après avoir réactivé Planetary Assault Systems, Luke Slater creuse un peu plus loin encore dans la terror-techno, avec ce pandémoniaque single de L.B. Dub Corp, qui s'est tout naturellement imposé comme le tube incontesté de l'été 2010.


Trans Am Thing (Thrill Jockey)
Noir, massif, impérial, Thing, au-delà du simple exercice de style (le disque était à l'origine prévu pour être la  B.O. d'un film option terreur transalpine et raids assassins dans l'hyper-espace), s'impose comme un des meilleurs - sinon LE meilleur - Trans Am à ce jour, pile entre la paranoïa rageuse de Liberation et les conjurations profanes de Surrender To The Night. Colossale partition pour mission suicide lancée sur la forteresse volante de sanguinaires empereurs galactiques, Thing triomphe, là où Zombi et The Emperor Machine vont péniblement chercher d'humbles victoires. Abandonnez dès à présent toute forme de résistance et prosternez-vous, insectes, car le jour où le soulèvement des machines anéantira toute forme connue de civilisation, c'est cette merde que la plus grosse sono de l'Univers diffusera en continu pour des Siècles et des Siècles.


Doctor Scientist Prehistoric Times (FDH)
Collection de rip-offs éhontés des premiers singles de Babyland, pochette absolument impardonnable, nom pourri, titre idiot, durée totale de moins de 20 minutes : Prehistoric Monsters de Doctor Scientist souscrivait à absolument tous les critères requis pour figurer dans ce classement. Il hérite donc tout naturellement d'une place de choix.


Cola Freaks Cola Freaks (Hjernespind)
On avait laissé les danois de Cola Freaks au tapis après un split avec Autistic Youth dont ils étaient sortis sévèrement sonnés et une tournée désastreuse en backing band de fortune pour le regretté Jay Reatard qui avait fini de les achever. Retour royal cette année avec un premier album altier, noir et hargneux, qui a éjecté le pourtant inespéré Your Future Our Clutter de The Fall de ce classement, et ce dès la première écoute.


Fukpig Belief Is The Death Of Intellignce (Feto)
Apache interlope traqué au pied de tours cyclopéennes, tu fonces dans la nuit, mitaines serrées, cheveux fournis, lorsqu'un douloureux crépitement déchire la nuit et fait éclater ton crâne en une anarchique pulpe de sang, envoyant ton corps s'écraser sur une rampe d'accès d'autoroute avant d'être accroché par un camping-car en flammes lancé à vitesse maximale contre une funèbre procession convoyant tous phares éteints 38 tonnes de terreur noire vers un horizon incertain. Pas d'erreur, c'est l'horreur, et on n'en attendait pas moins du deuxième album de Fukpig. Que ceux qui auraient raté le début de la raclée se rassurent : Belief Is The End Of Intelligence reprend les choses exactement là où Spewings Of A Selfish Nation les avait laissées : même son inhumain, mêmes tag-lines outrées, mêmes influences ouvertement affichées (Extreme Noise Terror, Disgust, Napalm Death) et même impression de revivre à chaque titre l'expérience de l'infortuné Michael Spinks, littéralement désintégré par Mike Tyson après seulement 90 secondes de combat le 27 juin 1988.

2 commentaires:

  1. Cette chronique me rappel furieusement la chronique de l'album du mois dans le dernier tsugi.

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  2. Celle de Fukpig ? Ahah, oui je l'ai réutilisé pour Shackleton. Mais bon, ça apprendra Fabric à m'envoyer leur disque 24h avant l'envoi à l'imprimerie.

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