mercredi 24 février 2010

Shutter Island (Martin Scorsese, 2010)


A ce jour, il n'existe techniquement qu'une chose plus vaine, tortueuse et irrationnelle qu'une matinée à la Préfecture de Saine-Saint-Denis, c'est de passer 10 minutes au téléphone avec mon grand-père maternel. Sourd au dernier degré, interprétant de la manière la plus alambiquée et invraisemblable la moindre phrase, il multiplie également d'outranciers stratagèmes qui ont pour unique but d'écourter chaque conversation au maximum, ceci afin -dit-il- d'éviter qu'on lui mette sur le dos le moindre dépassement de forfait dû à son relatif éloignement géographique.

Au fur et à mesure que le temps passe, l'exercice relève de plus en plus de l'épreuve de force, mais il faut reconnaître que ce type totalement irresponsable à qui mes parents m'ont confié durant la majeure partie d'une enfance erratique et qui m'a appris, bien malgré lui, les joies sans limites de l'incorrection et du tabac brun, s'avère souvent plus drôle que pénible. Bref, c'est un peu comme aller voir le dernier Scorsese : on sait que, techniquement, le meilleur est loin derrière, mais qu'entre les aberrations et les fous-rires involontaires, on peut encore entrevoir de fugaces éclairs de lucidité.

Il en va effectivement ainsi de tous ses films sortis après l'impérial Casino, et Shutter Island ne déroge pas à la règle, même si il se hisse sans trop de mal parmi les plus présentables de cette période maudite et sans retour. Parce qu'il faut bien le reconnaître, même si il a perdu tout sens du rythme et qu'il enquille ici plus de plans fixes qu'un Manoel De Oliveira assommé au Benzorex, Scorsese a su donner un minimum de race et de ressort à ces 2h17 pour leur éviter une entrée immédiate au registre des recherches académiques en perte de temps.

Mais, au delà de sa mise en scène usée, de ses écrasantes longueurs et de son grotesque duo de bad guys (Ben Kingsley et Max Von Sydow, par-delà les limites de la parodie), ce sont surtout les 10 dernières minutes de Shutter Island qui lui ôtent tout son potentiel venin. En jouant la carte de la conclusion aussi limpide qu'outrancière, l'histoire de Lehane (dont le roman est ici adapté avec une fidélité aveugle) perd toute la subversion que laissait espérer son vertigineux twist, porte ouverte vers un magistral exemple de ce que la manipulation et le pouvoir de suggestion peuvent avoir de plus cruels et implacables lorsqu'ils sont appliqués à la fiction. Impossible malheureusement d'en dire plus sans totalement spoiler, si ce n'est qu'un peu d'ombre et de confusion auraient facilement sauvé les 120 premières minutes du film, définitivement anéanties par un final explicite à en crever.
  • Pour Si Scorsese vieillit, on ne peut décemment pas en dire autant de Robert Richardson : la photographie est superbe.
  • Contre Avec ses kilos en trop et sa coupe de cheveux 50's, Leonardo Di Caprio ressemble atrocement à Clovis Cornillac.

4 commentaires:

  1. Il me semble que le twist arrivait au milieu de l'histoire, dans le livre... Ou a un bon 3/4, mais pas à la fin...

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  2. Tu as raison (aux 3/4 plutôt), c'est juste que je me suis un peu emmêlé les pinceaux entre twist et conclusion dans le texte.

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  3. bon, j'ai une question et elle sera simple : est-ce que ça vaut le coup d'aller voir le film si on a lu (et aimé) le bouquin?

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  4. D'après Cléo, qui l'a lu et a beaucoup aimé, oui. Elle a d'ailleurs trouvé que c'était une des très ares adaptations les plus réussies qu'elle ait vu.

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